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Florence LECOCQ, soprano, lors de la repésentation
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L'oeuvre
Jeanne Maillotte est un vaudeville qui fut représenté
pour la première fois à Lille en 1815. Son sujet est simple
: En 1582 une cabaretière lilloise exhorte les Lillois à
défendre leur ville contre l'attaque des Hurlus. La trame est
empruntée à un événement qui a marqué
la mémoire de Lille, événement si célèbre
au cur des Lillois, qu'il est passé du statut de la simple
anecdote historique à celui de la légende. Il est même
devenu le symbole du courage des femmes lilloises. De Jeanne Maillotte
à Jeanne d'Arc... Il n'y a qu'un pas. Laissons d'autres le franchir...
Laissons d'autres le franchir, car les auteurs du vaudeville nous invitent
avant tout à la gaieté : celle qui divertit, celle qui
ranime les curs, celle qui fédère, celle qui permet
à ces pièces de pouvoir encore être chantées
et appréciées aujourd'hui... Le vaudeville à couplets
est un genre d'origine populaire, dont la franche gaieté est
le principal ressort et dont le plaisir est finalement le maître
d'uvre.
Alors chantons, laissons-nous aller au fredon... puisque c'est ainsi
qu'on nomme la mélodie d'un couplet. Les airs de vaudeville ont
longtemps été transmis oralement. Cependant de nombreux
recueils de textes sont parvenus jusqu'à nous. Chaque couplet
y est accompagné d'une indication précisant l'air sur
lequel on doit le chanter. Ainsi lorsque Maillotte entonne Le Lillois
fut toujours fidèle, elle le fait sur l'air de la pipe au tabac.
Ne soyez pas non plus surpris de retrouver dans certains airs des refrains
que vous avez l'impression d'avoir déjà entendus, soit
dans d'autres vaudevilles ou opéras comiques, soit tout simplement
dans d'anciennes chansons populaires. Qui vous empêche de les
fredonner vous aussi ? A l'époque acteurs et spectateurs partageaient
ces airs dans un même élan, ce que l'opéra ne permettait
pas.
L'intrigue, elle aussi, est simple, beaucoup plus simple que celle d'une
comédie. Pas de psychologie, mais des situations comiques et
cocasses. Du jeu et du plaisir : le retour aux sources du spectacle
comique ou divertissant. Jeanne Maillotte ne fait pas exception à
la règle. Il ne faut pas pour autant sous-estimer la portée
de ces pièces, si courtes et si plaisantes soient-elles. Si les
vaudevilles ont tous en commun la gaieté, ils font part aussi
d'un certain esprit frondeur qui a pu leur valoir d'être très
surveillés par les régimes en place.
Avec Jeanne Maillotte cependant, point de souci ! La pièce est
consensuelle. On n'y trouve pas de grivoiseries, comme dans d'autres
vaudevilles où les couplets au gros sel, truffés de plaisanteries
osées, sont légions. C'est que nous sommes en bonne compagnie
: un comte, les archers de l'arc, un échevin (certes un peu fourbe,
mais si peu efficace et tellement humain qu'il en devient presque attachant),
et une femme qui pallie l'incapacité temporaire des hommes à
agir en ce 29 juillet 1582 : le comte est un héros qui doit se
cacher car on le prend pour un traître, l'échevin est sot
et lâche, les confrères, si courageux soient-ils, sont
naïfs et crédules, le gouverneur arrive un peu tard... Et
s'il n'en restait qu'une... serait-ce Jeanne ?
Quelle femme ! Quel courage ! Quelle fidélité à
sa ville ! C'est l'occasion d'exalter certaines valeurs. Que de belles
sentences moralisatrices qui nous échappent parfois un peu aujourd'hui.
La révolution française n'est pas si loin et la censure
non plus à cette époque... Une pièce de circonstance
? ... un peu...
Mais revenons à l'élément fédérateur:
la gaieté. Si l'action et les circonstances de l'histoire nous
semblent un peu lointaines, nous partageons toujours ce goût de
l'instant présent, sans souci de l'avenir... Voici qu'un cabaret
de Lille renaît sous nos yeux à travers les échanges
des personnages qui s'y croisent.
Un certain Goizet écrivit un jour ceci sur le vaudeville: "Ce
genre de pièce doit être fait vite, appris vite et joué
plus vite encore, puisqu'il est oublié de même." La
seule chose qui nous reste, c'est de retrouver ce plaisir de chanter,
de vivre, où spectateurs et acteurs participent du même
esprit de fête. Vous verrez que le dernier couplet, le couplet
public, viendra quêter votre indulgence en demandant vos applaudissements.
C'est d'abord à vous, spectateurs, qu'il s'adresse. Aux acteurs,
on demande avant tout de jouer et de faire, comme on disait à
l'époque, ressortir l'esprit des couplets. Le chant : c'est une
invitation à les suivre dans le divertissement.
Enfin, que de monde à la construction d'un vaudeville! Lisons
Balzac :
"Un auteur dramatique, comme peu de personnes le savent, se
compose : d'abord d'un homme à idées, chargé de
trouver les sujets et de construire la charpente ou scénario
du vaudeville ; puis d'un piocheur, chargé de rédiger
la pièce ; enfin d'un homme-mémoire, chargé de
mettre en musique les couplets, d'arranger les churs et les morceaux
d'ensemble, de les chanter, de les superposer à la situation.
L'homme-mémoire fait aussi la recette, c'est-à-dire veille
à la composition de l'affiche ( ... ). Du Bruel, vrai Piocheur,
lisait au Bureau les livres nouveaux, en extrayait les mots spirituels
et les enregistrait pour en émailler son dialogue. "
Certaines équipes ont écrit plus de trois cents pièces.
Puis, vers 1860 le vaudeville se tourne définitivement vers le
théâtre en perdant sa musique. C'est l'opérette,
avec Offenbach, qui perpétue son esprit. Le vaudeville à
couplets disparaît peu à peu. En voici une page...
Et si vous voulez prolonger cette immersion dans le passé, allez
vous promener dans le vieux Lille, près de la porte Saint-Jacques,
vous trouverez un parc, le jardin de l'Arc... C'est là que tout
a commencé.
N'oubliez pas non plus que, sur la route de Gand, à Lille, peut-être
tout près d'ici, se trouvait une auberge, celle de Jeanne Maillotte
qui sauva Lille des Hurlus...
Pierre-Yves Gronier et Anne Cointault
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Extraits du texte
Faubourg de la Madeleine. Dans le cabaret
de Jeanne Maillotte, le jeune Charlot nettoie les tables et frotte les
verres. C'est le jour de la ducasse du faubourg et les Confrères
de Saint Sébastien doivent venir l'après midi même
tirer à l'arc dans le jardin.
Que j'aime sur l'herbette
Au son d'un instrument
Avec une fillette
Danser, chanter gaîement
Et flon, flon, flon
La rira dondaine
Et gai gai gai
La rira dondé
Le vin r'tient-il à table
Pères, Mères, barbons
Alors fillette aimable,
Chante avec les garçons
Flon flon flon...
Maillotte, à force de flatteries et en échange
d'une bonne oie farcie comme repas, parvient à convaincre le
Syndic de ne pas mener tout de suite le devin en prison
Dans le monde c'est l'ordinaire
L'homme est jugé d'après l'état
Il est selon son caractère
Imposteur, probe ou sélérat
Pour bien juger moi je dis
Certain proverbe sans éclat
Jamais l'état n'a déshonoré l'homme
L'homme souvent déshonore l'état
Maillotte s'inquiète : que fait Charlot
? Le voici enfin qui a mené à bien sa mission. Il a jeté
la lettre devant la loge du portier, celle-ci est parvenue au gouverneur.
Les révoltés sont aux portes de Lille. Certains même
sont déguisés en paysans. Le lâche syndic conseille
la fuite. Maillotte lui rappelle que ce faubourg est situé à
un endroit stratégique : s'emparer de ce faubourg, c'est s'emparer
de Lille. Elle prend une hallebarde et exhorte les autres à la
suivre. Il faut tenir jusqu'à l'arrivée du gouverneur.
LE SYNDIC
Ah ! Grands dieux ! Quel danger nous menace !
Nous sommes perdus car voici dit-on les Hurlus !
Mes amis que faut-il que je fasse ?
Pour éviter, je ne sais à quoi m'arrèter,
Si du moins j'étais dans cette affaire simple spectateur
Mais par malheur mon ministère
Veut que je les repousse au contraire
Et si je suis batti, je serai pour le moins...
TOUS
Pendu !
LE SYNDIC (parlé)
Rien que cela ?
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